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Les dommages musculaires sont-ils le facteur principal pour l'hypertrophie?

Détruire pour mieux reconstruire?

On a longtemps pensé que les dommages musculaires générés lors de l’entraînement contre résistance étaient un des mécanismes principaux permettant d’obtenir des gains en hypertrophie. « Exercise training can result in localized damage to muscle tissue which, under certain conditions, is theorized to generate a hypertrophic response » Schoenfeld.B.J, 2010. Je me rappelle avoir entendu plusieurs fois dans les vestiaires, « il faut que tu casses ta fibre, après tu vas la réparer avec des protéines et elle va devenir plus grosse ».

L’idée est en effet très séduisante, après tout, après une séance de musculation on a souvent des courbatures, et on en est d’ailleurs souvent très satisfait ! On peut imaginer que ces courbatures sont dues (au moins en partie) à des dommages musculaires qui vont devoir être « réparés ».

Pour autant durant les dernières années, on s’est rendu compte qu’il était possible d’avoir des gains en hypertrophie sans pour autant avoir généré beaucoup de dommages musculaires (Lowery et al. 2014). On s’est rendu compte aussi que plus de dommages musculaires n’équivalaient pas nécessairement à plus de gains… « Resistance training protocols that do not promote significant muscle damage still induce similar muscle hypertrophy and strength gains compared to conditions that do promote initial muscle damage. Thus, we conclude that muscle damage is not the process that mediates or potentiates resistance training induced muscle hypertrophy. »(Damas et al. 2018)

On nous aurait menti ?

En réalité, tout porte à croire (en tout cas pour l’instant) que la tension mécanique est le facteur principal permettant de déclencher le processus d’hypertrophie. Lorsque l’on effectue des mouvements contre résistance, les mécanorécepteurs situés au niveau de nos muscles vont détecter cette tension et la convertir en une cascade de messages chimiques, c’est ce qu’on appelle la mécanotransduction. Pour que ce signal soit significatif et qu’il puisse donc générer des adaptations musculaires, il semble que des séries poussées à l’échec musculaire ou proche de l’échec musculaire soient particulièrement adaptées (le fourchette de répétitions autorisant ce phénomène de manière significative étant relativement large, 5-30 répétitions).

Oui mais seulement voilà…lorsque l’on s’entraîne avec des séries proches ou à l’échec musculaire avec un contrôle de la phase excentrique et une amplitude relativement importante (en particulier lorsque le muscle est étiré sous tension), on a tendance à générer des dommages musculaires. Pour autant ces dommages peuvent être envisagés non pas comme le mécanisme qui permet l’hypertrophie mais bien comme un **effet secondaire de l’entraînement **qui vise des gains en hypertrophie.

C’est souvent là, souvent, que les discussions deviennent houleuses. C’est en effet très tentant de se laisser emporter par sa fougue, sa testostérone et ses posters de Dorian Yates et de clamer haut et fort « no pain no gain », « il faut détruire son muscle à l’entraînement », « l’échec musculaire est la seule manière de progresser ». Pour autant, on le sait bien, parler fort ne donne pas plus de véracité (ou plus de sens) à ce que l’on essaye de dire.

Le problème de ce type de raisonnement c’est qu’il pousse à la consommation, ou devrais-je dire, à la destruction. Si ce sont les dommages musculaires qui permettent de progresser alors plus de dommages devraient permettre plus de gains n’est-ce-pas ? C’est loin d’être le cas. Non seulement plus de dommages n’apportent pas plus de gains, mais ils peuvent même s’avérer détrimentaires !

D’un point de vue physiologique les ressources qui vont permettre de réparer les tissus musculaires et les ressources qui vont permettre de faire grossir ces mêmes tissus sont issus du même compte bancaire (principalement les cellules satellites situées entre la lame basale et le sarcolemme). Si vous avez mis toutes vos économies dans le budget réparation, alors il ne vous restera plus rien pour le budget construction. (Même avec la black card ça ne fonctionne pas).

Certains scientifiques prônent même une stratégie qui vise à minimiser les dommages musculaires pour que le budget soit entièrement alloué à une phase de construction (pas de frais de réparation !).

Quoi faire de tout ça ?

. Comprendre que chercher des gains en hypertrophie c’est plus chercher à stimuler et non à annihiler les muscles (pour reprendre la formule du célèbre Lee Haney 8 fois mister Olympia « train to stimulate, not annihilate »).

. Comprendre également que cette stimulation risque fort de générer de dommages musculaires et que cela est un indicateur à prendre en compte parmi une myriade d’autres

. Accepter l’idée que l’on peut progresser sans pour autant sortir systématiquement sur un brancard de la salle de musculation (en plus pour passer le portique c’est vraiment galère)

. Accepter qu’un entraînement intelligent n’est pas incompatible avec un entraînement intense

Damas F, Libardi CA, Ugrinowitsch C. The development of skeletal muscle hypertrophy through resistance training: the role of muscle damage and muscle protein synthesis. Eur J Appl Physiol. 2018 Mar;118(3):485-500. doi: 10.1007/s00421-017-3792-9. Epub 2017 Dec 27. PMID: 29282529.

Lowery RP, Joy JM, Loenneke JP, de Souza EO, Machado M, Dudeck JE, Wilson JM. Practical blood flow restriction training increases muscle hypertrophy during a periodized resistance training programme. Clin Physiol Funct Imaging. 2014 Jul;34(4):317-21. doi: 10.1111/cpf.12099. Epub 2013 Nov 4. PMID: 24188499.

Schoenfeld, Brad J. The Mechanisms of Muscle Hypertrophy and Their Application to Resistance Training. Journal of Strength and Conditioning Research 24(10):p 2857-2872, October 2010. | DOI: 10.1519/JSC.0b013e3181e840f3